Alors que ses parents la destinent au métier de couturière, Emmanuelle Riva réussit le concours d'entrée au Centre d'art dramatique de la rue Blanche. Elle vient à Paris en 1953 et est prise sous son aile par Jean Meyer, un des grands noms de la Comédie Française, séduit par son intensité. Elle commence peu après une carrière théâtrale, se faisant remarquer dans des pièces de George Bernard Shaw, Henri Bernstein, Georges Bernanos, Racine ou Dominique Roli.
Etonnante carrière que celle de cette actrice au jeu singulier révélée en 1958 par son rôle mythique dans Hiroshima mon amour, un peu perdue de vue par la suite et ressuscitée de manière éblouissante cinquante-cinq ans plus tard par Amour de Michael Haneke !
Emmanuelle Riva a 30 ans lorsqu'elle est remarquée sur scène par Alain Resnais qui la choisit immédiatement pour le rôle principal de son premier film de fiction, Hiroshima mon amour (1958). Elle se distingue par un jeu intériorisé, riche d'émotion et de vérité, et une voix douloureuse qui révèle toute la poésie des textes de Marguerite Duras. Son rôle en fait une héroïne populaire dans le monde entier, mais il est aussi un boulet pour la suite de sa carrière tant il marque celle-ci.
Désignée souvent comme une actrice " intellectuelle ", elle contribue à cette image en refusant le statut de vedette et en montrant une grande exigence dans ses choix artistiques. Elle trouve des rôles à sa mesure, le plus souvent de femme passionnée, dans Le Huitième jour (1959) de Marcel Hanoun, dans Léon Morin, prêtre (1961) de Jean-Pierre Melville (où elle interprète une veuve athée amoureuse d'un religieux incarné par Jean-Paul Belmondo) et surtout dans Thérèse Desqueyroux (1962) de Georges Franju qui lui vaut un prix d'interprétation à Venise.
Elle retrouve Franju en 1965 pour Thomas l'imposteur où elle incarne une comtesse s'improvisant ambulancière durant la guerre de 14 et s'éprenant d'un jeune imposteur, d'après un scénario de Jean Cocteau.
En Italie, les metteurs en scène s'intéressent aussi à elle : Antonio Pietrangeli en fait une prostituée dans Adua et ses compagnes (1960), tandis que Gillo Pontecorvo lui offre le personnage écrasant d'une prisonnière juive d'un camp de concentration dans le terrible Kapo (id.). Cette succession de grands rôles marquants et de succès s'achève sur Les Risques du métier d'André Cayate, où elle incarne la courageuse épouse d'un enseignant (Jacques Brel) accusé de viol par un de ses élèves.
Son exigence artistique lui fait ensuite refuser de nombreux films qu'elle juge trop commerciaux ou sans intérêt, préférant se risquer dans des aventures plus avant-gardistes (sous la direction d'Arrabal, de Dominique Delouche ou de Sotha) ou retourner au théâtre. Si Jean-Pierre Mocky lui offre un savoureux second rôle dans Y a-t-il un Français dans la salle ? (1982), ce sont deux auteurs majeurs du cinéma d'art et essai qui la remettent à l'honneur : Marco Bellocchio dans Les Yeux, la bouche (1982) et Philippe Garrel dans Liberté, la nuit (1983).
Après quelques seconds rôles, en 1991, elle retrouve un magnifique personnage de premier plan, celui d'une mère indigne, toujours séductrice et farouchement attachée aux plaisirs de la vie dans le méconnu Loin du Brésil, premier film du dramaturge Tilly. Krzsztof Kieslowski (Trois couleurs : Bleu, 1993), Aline Issermann (L'Ombre d'un doute, 1993), Tonie Marshall (Vénus beauté (institut), 1999), Pascal Bonitzer (Le Grand Alibi, 2008), Julie Delpy (Le Skylab, 2011) ou Brigitte Roüan (Tu honoreras ta mère et ta mère, 2013) font appel à sa grande liberté de jeu et lui confient de petits rôles dans des registres exrêmement divers (comédie, drame, policier...) où elle brille à chaque fois.
C'est pourtant sa rencontre avec le cinéaste autrichien Michael Haneke qui marque son grand retour, rappelant à tous l'originalité de son talent et provocant une incroyable reconnaissance internationale pour une comédienne de 85 ans. Dans Amour (2012), elle joue Anne, une ancienne professeure de musique vivant seule avec son mari, et qui va être victime d'une attaque cérébrale après laquelle elle va glisser longuement vers la déchéance (perte de son autonomie, de la parole, de l'envie de vivre...) et la mort, accompagnée par son époux. Son interprétation magistrale de ce rôle terrible et magnifique lui vaut un César de la meilleure actrice, un BAFTA, un Prix du cinéma européen, un Prix Lumière, une Palme d'or partagée avec le film et son partenaire (Jean-Louis Trintignant) sans oublier une nomination à l'Oscar !
Emmanuelle Riva a plusieurs fois tourné pour la télévision, reprenant dans La Fin de la nuit (Albert Riera, 1966), le personnage de Thérèse Desqueyroux, ou incarnant la mère de Rimbaud dans L'Homme aux semelles de vent (Marc Rivière, 1995). Elle se produit régulièrement au théâtre, auss bien dans des oeuvres contemporaines (Pinter, Copi, Nathalie Sarraute, Tilly...) que dans des classiques (Shakespeare, Tourgueniev, Pirandello, Molière ou Euripide, dont Médée, en 2001, dirigé par Jacques Lassalle, sera sa dernière pièce : elle y joue le choeur face à Isabelle Huppert). Elle a également publié trois recueils de poèmes.
1969 | Modification (La) | Michel Worms |
1982 | Dérapage | Marie-Christine Questerbert |
1958 | Grandes familles (Les) | Denys de La Patellière |
1958 | Hiroshima, mon amour | Alain Resnais |
1959 | Huitième jour (Le) | Marcel Hanoun |
1959 | Recours en grâce | Lazslo Benedek |
1960 | Adua e le compagne Adua et ses compagnes | Antonio Pietrangeli |
1960 | Kapo | Gillo Pontecorvo |
1961 | Climats | Stellio Lorenzi |
1961 | Léon Morin prêtre | Jean-Pierre Melville |
1962 | Ore dell' amore (Le) Les Heures de l'amour | Luciano Salce |
1962 | Thérèse Desqueyroux | Georges Franju |
1963 | Gros coup (Le) | Jean Valère |
1964 | Coup de grâce (Le) | Claude Durand, Jean Cayrol |
1964 | Or et le plomb (L') | Alain Cuniot |
1964 | Thomas l'imposteur | Georges Franju |
1965 | Io uccido, tu uccidi | Gianni Puccini |
1966 | Désordre a vingt ans (Le) | Jacques Baratier |
1966 | Fruits amers | Jacqueline Audry |
1967 | Risques du métier (Les) | André Cayatte |
1969 | Eiko no 5000 kiro | Koreyoshi Kurahara |
1969 | Homme de désir (L') | Dominique Delouche |
1971 | Portes de feu (Les) | Claude Bernard-Aubert |
1973 | J'irai comme un cheval fou | Arrabal |
1974 | Ariane | Pierre-Jean de San Bartolomé |
1974 | Au long de la rivière Fango | Sotha |
1975 | Diable au coeur (Le) | Bernard Queysanne |
1975 | Mort de l'utopie (La) | Jorge Amat |
1979 | Règlement intérieur (Le) | Michel Vuillermet |
1980 | Jeux de la comtesse Dolingen de Gratz (Les) | Catherine Binet |
1982 | Occhi, la bocca (Gli) Les Yeux, la bouche | Marco Bellocchio |
1982 | Y a-t'il un Français dans la salle ? | Jean-Pierre Mocky |
1983 | Liberté la nuit | Philippe Garrel |
1983 | Un homme à ma taille | Annette Carducci |
1987 | Funny boy | Christian Le Hémonet |
1988 | Niezwykla podróz Baltazara Kobera Les Tribulations de Balthazar Kober | Wojciech Has |
1989 | Passion de Bernadette (La) | Jean Delannoy |
1990 | Pour Sacha | Alexandre Arcady |
1991 | Loin du Brésil | Tilly |
1992 | Ombre du doute (L') | Aline Issermann |
1992 | Trois couleurs bleu | Krzysztof Kieslowski |
1994 | Dieu, l'amant de ma mère et le fils du charcutier | Aline Issermann |
1996 | Capitaine au long cours | Bianca Conti Rossini |
1996 | XXL | Ariel Zeïtoun |
1998 | Vénus beauté (institut) | Tonie Marshall |
2001 | C'est la vie | Jean-Pierre Améris |
2002 | Eros thérapie | Danièle Dubroux |
2003 | Vert paradis | Emmanuel Bourdieu |
2005 | Mon fils à moi | Martial Fougeron |
2007 | Grand alibi (Le) | Pascal Bonitzer |
2008 | Un homme et son chien | Francis Huster |
2010 | Skylab (Le) | Julie Delpy |
2011 | Amour | Michael Haneke |
2011 | Tu honoreras ta mère et ta mère | Brigitte Roüan |
2012 | Michael Haneke - Porträt eines Film-Handwerkers Michael Haneke, profession réalisateur | Yves Montmayeur |
2015 | Marie et les naufragés | Sébastien Betbeder |
2015 | Paris pieds nus | Dominique Abel, Fiona Gordon |