Kenji Mizoguchi tourne son premier film en 1922. Etabli à Kyoto, il adapte de nombreuses oeuvres d'écrivains occidentaux dont Une aventure d'Arsène Lupin de Maurice Leblanc (813, 1923). Mizoguchi expérimente sa technique du plan-séquence qui va faire sa renommée. Les tendances déjà esquissées - réalisme social, attention portée aux femmes - se confirment dans les années 1930. C'est en 1936 qu'il devient célèbre avec l' Elégie d' Osaka et les Soeurs de Gion. Dans ces deux films, il aborde le sort des femmes particulièrement opprimées sous le régime militaire. Mizutani, son décorateur, explique dans les Cahiers du cinéma n° 158 (août-septembre 1964) : " Son grand sujet, c'est la femme, la force de la femme surtout. [.] Et d'ailleurs toutes ses actrices : Tanaka Kinuyo, Yamada Isuzu, Kyo Machoko, sont bien plus fortes que ses acteurs. " Ces films, plébiscités par le public et par la critique, sont pourtant condamnés par le régime et le réalisateur se voit confiné dans des productions de série. A l' issue de la Seconde Guerre mondiale, Mizoguchi tourne par réaction des films un peu trop didactiques qui reflètent le Japon démocratique à l'américaine. En 1952, il trouve un équilibre entre son art et ses préoccupations sociales et crée des chefs-d'oeuvre mondialement célébrés. Il met le genre historique au service de son inlassable lutte contre la condition misérable faite à la femme par une société impitoyable. Ce thème trouve sa pleine expression avec la Vie d' O-Haru, femme galante (1952), fresque terrible qui dépeint la lente déchéance d'une femme. Cette oeuvre est suivie par d'autres films, aussi connus, tous produits par la compagnie Daiei : les Contes de la lune vague après la pluie (1953), l' Intendant Sansho (1954), les Amants crucifiés (1954), l' Impératrice Yang Kwei-Fei (1955), ou encore la Rue de la honte (1956), son dernier long métrage, galerie de portraits de prostituées de Tokyo. A chaque fois, le cinéaste transmet sa vision amère et pessimiste, sa critique des prolongements du système féodal dans le Japon contemporain. A cette époque, il suit avec une totale maîtrise sa préférence pour les prises uniques de plans longs, après une minutieuse répétition des acteurs. Le montage ne joue qu'un rôle secondaire dans son esthétique, et les plans brefs y sont rares. Ses films, empreints tout à la fois de violence et de sérénité, provoquent un éblouissement général chez les cinéastes occidentaux qui ne vont pas cesser de lui rendre hommage. Son obsession d' artisan pour le détail et son esthétique qui combine l'oeil du peintre avec l' âme du poète font de Mizoguchi un des cinéastes les plus admirés de l'histoire du cinéma.