Antoine Mayo grandit en Égypte, à Ismaïlia, baignant dans une double culture héritée d'un père grec et d'une mère française. Passionné dès l'enfance par la peinture, il apprend le dessin alors qu'il est pensionnaire dans un collège jésuite d'Alexandrie. En 1923, ses parents l'envoient à Paris suivre des études d'architecture. Mais le jeune homme, reçu à l'École des Beaux-Arts, préfère se consacrer à la peinture et au dessin, et se mêle au milieu intellectuel et artistique bouillonnant du Montparnasse du milieu des années 1920. Il fréquente des artistes, des écrivains et des poètes (Desnos, Tzara, Picabia, Man Ray...) et participe au mouvement Surréaliste pour lequel il dessine dans la revue Le Grand Jeu. Il se lie d'amitié avec Desnos et les frères Prévert. Au cours des années 1930, Mayo expose à Berlin, au Caire, à Paris, et voyage en Grèce. Il débute une collaboration fructueuse avec Marcel Herrand pour le théâtre des Mathurins comme créateur de décors et de costumes.
Si l'oeuvre d'Antoine Mayo est avant tout picturale, il a marqué de son style, pendant deux décennies, de grands films classiques du cinéma français.
C'est son ami Jacques Prévert qui ouvre à Antoine Mayo les portes du cinéma. Le poète, scénariste et dialoguiste de Marcel Carné pour Les Enfants du paradis (1943), conseille à celui-ci de faire appel au peintre pour dessiner les costumes du film. C'est le début d'une collaboration fertile entre le cinéaste et l'artiste. Si le milieu du cinéma lui est relativement étranger, Antoine Mayo deviendra, grâce à son travail avec Carné, l'un des créateurs de costumes les plus prestigieux du cinéma français.
Les Enfants du paradis est pour Mayo, jusqu'ici costumier de théâtre, une forme de transition idéale, car le film de Carné est tout entier tourné vers le monde du spectacle et de l'illusion. Il pourra jouer du décalage entre les costumes de "scène" et les costumes de "ville" des personnages. Le peintre les conçoit à partir de reproductions de documents d'époque rapportés de Paris par Carné. En effet, le tournage a lieu pendant la Seconde Guerre mondiale. L'équipe du film est réfugiée à Tourrettes- sur-Loup, en Provence. Certains de ses membres, juifs, travaillent dans la clandestinité. Antoine Mayo, Alexandre Trauner (décorateur), Joseph Kosma (auteur de la musique originale) et Jacques Prévert (scénariste) forment un groupe soudé autour du réalisateur. On retrouve d'ailleurs cette équipe presque au complet dans d'autres films de Carné, comme Les Portes de la nuit (1946), La Fleur de l'âge (resté inachevé en 1947), ou Juliette ou la clé des songes (1950).
Les costumes dessinés à la gouache par Mayo pour Les Enfants du paradis traduisent le conflit, burlesque ou tragique, de la réalité et de l'illusion, qui est au coeur du film. Selon Carné, ils sont "cousus dans l'histoire", et jouent les uns par rapport aux autres, tout en reflétant l'intériorité des personnages. Ainsi, le personnage de Baptiste Deburau (Jean-Louis Barrault) apparaît d'abord en Pierrot éthéré et presque grotesque, traduisant son caractère tourmenté et son inadaptation au monde. Puis sa personnalité s'affirme, et sa bizarrerie vestimentaire, d'abord reflet de sa fragilité, exprime aussi sa condition de poète, par la grâce et la luminosité de son costume, que Mayo a obtenue par l'emploi d'une étoffe réellement blanche (qui brille à l'écran, alors que le rose était habituellement utilisé au tournage pour rendre le blanc dans un film en noir et blanc).
Thérèse Raquin de Marcel Carné (1953), témoigne aussi de ce rôle narratif du costume, qui souligne les caractères des personnages et en révèle les traits cachés. Carné voulait pour ce film des costumes très typés qui fassent ressortir instantanément la psychologie et le milieu social du personnage. Le costume soutient la fiction en introduisant des niveaux de lecture supplémentaires.
En 1949, Antoine Mayo réalise les costumes du film de René Clair La Beauté du diable, d'après la légende Faust, l'homme qui vendit son âme au diable de Johann Wolfgang von Goethe. Ses dessins de costumes, dans lesquels les personnages surgissent d'un fond très sombre, à peine définis par quelques traits plus clairs, sont extrêmement stylisés.
En 1951, pour Casque d'or de Jacques Becker, il imagine pour Marie (Simone Signoret) une silhouette harmonieuse et sobre, qui souligne la plénitude de sa beauté. L'actrice est magnifiée comme objet de désir, presque comme une oeuvre d'art. On retrouve ces femmes légèrement statufiées dans un certain nombre de créations de Mayo, chez Garance/Arletty dans Les Enfants du paradis, chez Malou/Nathalie dans Les Portes de la nuit, ou dans le costume féerique porté par Suzanne Cloutier dans Juliette ou la clé des songes. Une des constantes des costumes conçus par Antoine Mayo est un alliage d'élégance et de sobriété : peu d'ornements pour ne pas surcharger les costumes, mais emploi d'un certain nombre de motifs assez discrets venant souligner la forme générale de l'habit : carreaux, rayures, lignes longeant le buste.
Dans les années 1950, Mayo passe d'un genre cinématographique à un autre, de drames comme Un acte d'amour d'Anatole Litvak (1953) ou Gervaise de René Clément (1955) d'après Émile Zola, au péplum d'Howard Hawks Terre des pharaons (1954), dans lequel son art de la stylisation s'exerce à nouveau. Pour chaque film, Mayo fait un grand nombre de versions des personnages. En tant que peintre, il sait choisir les couleurs et ordonner leur complémentarité. Ses recherches de costumes, toujours marqués par une intention narrative, touchent parfois, au-delà de leur réalité, à une certaine "surréalité" poétique.
Antoine Mayo fut aussi décorateur pour le cinéma, mais cette activité fut secondaire à celle de costumier : pour Amélie ou le temps d'aimer de Michel Drach (1960), ou, parmi d'autres décorateurs, pour Hiroshima, mon amour d'Alain Resnais (1958). Passant aussi par le dessin et la peinture pour créer ses décors, Mayo partage avec Alexandre Trauner, auteur des décors des chefs-d'oeuvre de Marcel Carné, une même conception picturale du métier.
Avec l'avènement de La Nouvelle Vague, le travail au cinéma se fait rare pour Antoine Mayo, qui se recentre sur sa passion de toujours, la peinture. Il expose à Rome, à Turin, à Paris. Puis, à partir de 1980, il perd progressivement la vue. Cette cécité partielle l'empêche de peindre. Il s'installe à Seine-Port, village natal de son épouse, où il décèdera. Peinture et cinéma ont été pour Mayo deux démarches artistiques différentes, deux modes d'expression, et finalement, deux facettes d'une oeuvre tournée vers la lumière et la poésie.
Antoine Mayo est l'auteur d'une oeuvre picturale originale. Il a organisé de nombreuses expositions internationales, en particulier en Égypte. Peintre avant tout, il a, parallèlement au cinéma, dessiné des décors et des costumes pour le théâtre (notamment pour Les Sorcières de Salem dans la mise en scène de Raymond Rouleau en 1954, et pour Les Possédés, d'après le roman de Dostoïevski, adapté au théâtre par Albert Camus en 1959. Il crée des costumes pour les ballets de Roland Petit, et retrouve Jacques Prévert et Joseph Kosma pour Baptiste, un spectacle mis en scène par Jean-Louis Barrault dont il réalise les costumes et les décors en 1946.
Antoine Mayo est aussi illustrateur de livres. De 1949 à 1960, il collabore en tant que directeur artistique à des films publicitaires réalisés par André Michel pour le compte du groupe L'Oréal. Henri Langlois lui confie en 1955 le décor, à Munich, des stands d'une exposition consacrée à la Cinémathèque française.
1945 | Homme (L') | Gilles Margaritis |
1961 | Rendez-vous de Noël (Le) | André Michel |
1957 | Sans famille | André Michel |
1951 | Au coeur de la casbah | Pierre Cardinal |
1952 | Crimes de l'amour : Le rideau cramoisi (Les) | Alexandre Astruc |
1958 | Hiroshima, mon amour | Alain Resnais |
1960 | Amélie ou le temps d'aimer | Michel Drach |
1961 | Comme un poisson dans l'eau | André Michel |
1961 | Leviathan | Léonard Keigel |
1943 | Enfants du paradis (Les) | Marcel Carné |
1946 | Portes de la nuit (Les) | Marcel Carné |
1946 | Rêves d'amour | Christian Stengel |
1948 | Barry | Richard Pottier |
1949 | Beauté du diable (La) | René Clair |
1950 | Juliette ou la clé des songes | Marcel Carné |
1951 | Casque d'or | Jacques Becker |
1951 | Trois femmes | André Michel |
1952 | Crimes de l'amour : Le rideau cramoisi (Les) | Alexandre Astruc |
1952 | Crimes de l'amour : Mina de Vanghel (Les) | Maurice Clavel, Maurice Barry |
1953 | Thérèse Raquin | Marcel Carné |
1953 | Un acte d'amour | Anatole Litvak |
1955 | Cette sacrée gamine | Michel Boisrond |
1955 | Gervaise | René Clément |
1957 | Sans famille | André Michel |
1957 | Une vie | Alexandre Astruc |
1958 | Tricheurs (Les) | Marcel Carné |
1959 | Two Faces of Doctor Jekyll (The) Les Deux visages du Docteur Jekyll | Terence Fisher |
1960 | Terrain vague | Marcel Carné |
1962 | Du mouron pour les petits oiseaux | Marcel Carné |