Formation
Enfant solitaire, Jean-François Laguionie aime se réfugier dans les livres d'aventure qui nourriront son imaginaire, les romans de Stevenson, Jules Verne ou Jack London. Après une formation en arts appliqués, il entre en 1962 à l'École de la rue Blanche pour apprendre le métier de décorateur. Attiré depuis toujours par le théâtre, il délaisse les ateliers décors pour les cours de comédie et de mime. Il imagine des spectacles de marionnettes et d'ombres chinoises à base de papiers découpés. Il rencontre le réalisateur de films d'animation Paul Grimault qui l'accueille dans son studio de la rue Bobillot à Paris, et lui prête son espace et ses outils, ses caméras et son banc-titre, sans pour autant instituer un rapport de maître à élève. Dans l'ombre de cette présence bienveillante, et porté par l'ambiance chaleureuse du studio fréquenté par d'autres animateurs en herbe, comme Jacques Colombat, le jeune Laguionie va concevoir en artisan ses premiers courts métrages.
Carrière au cinéma
Avec d'autres créateurs de sa génération, Jean-François Laguionie a donné au cinéma d'animation ses lettres de noblesses, en l'affranchissant du ghetto des films pour enfants.
Influencé par les dessins animés de son mentor Paul Grimault, qui produira ses trois premiers courts métrages, Jean-François Laguionie rompt avec la technique traditionnelle du cellulo pour travailler essentiellement avec des papiers découpés. Il utilise également une gamme étendue et nuancée de couleurs. Son talent se révèle dès 1964 avec La Demoiselle et le violoncelliste, qui remporte le Grand Prix du Festival d'Annecy. Dans un univers poétique imprégné de surréalisme, le film met en scène une jeune fille partie à la pêche et un musicien faiseur de tempête. On y trouve déjà l'attrait du réalisateur pour la nature, la musique et l'océan.
En 1971, Laguionie quitte Paris, après la réalisation (en prises de vues réelles) de La Plage privée et d'Hélène ou le malentendu. Il s'installe près de Montpellier pour réaliser, sur des décors du cinéaste d'animation Kali Carlini, un court métrage commandé par un producteur italien, Potr' et la fille des eaux (1974). Le cinéaste s'établit ensuite dans les Cévennes où il réalise trois films de transition : L'Acteur (1975), puis Le Masque du Diable (1976). Abordant les relations à l'intérieur du couple, il utilise la technique de la peinture animée pour mieux exprimer les émotions des personnages en se rapprochant des visages. Il faudra 2 ans pour réaliser La Traversée de l'Atlantique à la rame, sorti en 1978, couronné au Festival de Cannes et aux Césars. C'est une sorte de rêve absurde empreint d'humour noir, le huis clos d'un couple confiné sur une barque au milieu de l'océan, embarqué dans une odyssée dérisoire. Le succès du film parachève la reconnaissance du cinéma d'animation en tant que genre à part entière, amorcée dix ans plus tôt par La Planète sauvage de René Laloux.
En 1979 commence l'aventure de La Fabrique. Pour produire son premier long métrage, Jean-François Laguionie achète dans les Cévennes une ancienne magnanerie. Il s'associe avec Kali Carlini et les réalisateurs Bernard Palacios et Nicole Dufour pour créer un studio d'animation, puis une société de production. Conçue sous la forme d'une coopérative consacrée à la réalisation de films d'auteurs, La Fabrique sera pendant plus de dix ans le lieu d'une aventure collective. Cinq ans sont nécessaires pour y produire le premier long métrage, Gwen, le livre de sable (1984). Neuf personnes s'attèlent au projet, dont Henri Heidsieck et Claude Luyet pour animer les deux personnages principaux. Le film est une entreprise ambitieuse, qui rompt avec le modèle traditionnel de production du film d'animation : au lieu d'être réalisé par un seul metteur en scène servi par une multitude de techniciens, le film est fabriqué par un petit groupe de réalisateurs dont chacun détient une part de création. Écrit avec Jean-Paul Gaspari et peint à la gouache, c'est à la fois un film d'aventures et un récit de science-fiction situé dans un monde apocalyptique envahi par le sable. L'animation, réalisée sur calques, est ensuite reportée sur papier, découpée, gouachée et retravaillée en volume, dans un travail très précis d'intégration du personnage dans son environnement. Le film met en oeuvre un procédé original, baptisé le Multiplane. Il s'agit d'un dispositif de banc-titre comprenant 4 niveaux, chaque niveau ayant ses propres éclairages, modifiables et modulables. Les dessins, échelonnés sur plusieurs plans, sont travaillés séparément, comme les éclairages qui jouent sur des transparences pour la luminosité des ciels et des petits spots dirigés sur les visages pour donner de l'intensité aux regards. Sorti en 1985, Gwen, le livre de sable ne reçoit qu'un accueil mitigé. Pourtant, c'est avec ce film de rupture que La Fabrique prend son essor. S'associant à d'autres studios européens, elle affirme son ambition artistique en produisant des collections de courts métrages et des films de qualité pour la télévision.
Laguionie réalise en 1998 un nouveau long métrage, Le Château des singes, un film beaucoup plus grand public que le précédent, d'après le roman Le Baron perché d'Italo Calvino. C'est une grosse coproduction européenne sur laquelle vont travailler pendant 3 années près de 300 personnes. Ce récit initiatique prônant la tolérance et le rejet des croyances imposées a pour cadre de superbes décors mordorés. Puis vient un autre long métrage, qui renoue avec les romans d'aventures qui ont bercé l'enfance du cinéaste, et s'inspire de l'univers du marin, peintre et aquarelliste Yvon Le Corre. L'Ile de Black Mor (2003) raconte l'histoire d'un orphelin rêveur partant à la recherche du trésor d'un pirate légendaire. Repris par l'envie de vivre près de la mer, Laguionie s'installe en Bretagne en 2005, abandonnant son activité de producteur à La Fabrique.
Cinq ans plus tard, il réalise Le Tableau, long métrage au scénario insolite : un peintre a abandonné l'un de ses tableaux, laissant certains personnages à l'état d'esquisses, tandis que d'autres, achevés, s'estiment être supérieurs. Pour mettre fin à cette inégalité et restaurer l'harmonie, les premiers partent à la recherche du peintre pour qu'il termine son oeuvre. Le film est à la fois une rêverie sur l'art et une dénonciation du racisme et des inégalités sociales. Louise en hiver, réalisé en 2015, raconte la vie de Robinsonne d'une vieille dame, qui se retrouve seule avec son chien dans une petite station balnéaire, sorte de ville fantôme hors du temps perdue entre dunes et océan. Méditation tendre et drôle sur la vieillesse, à la fois invitation à la vie et badinage avec la mort, cette héroïne facétieuse nous emmène dans un voyage immobile, captant l'essence d'une existence avec des pastels et de la gouache, loin des technologies numériques
Autres activités
Jean-François Laguionie est aussi l'auteur de recueils de nouvelles, comme Au début tout va bien. Ses films ont souvent donné lieu à l'édition d'albums dont il est l'illustrateur, comme Le Tableau, écrit par Anik Le Ray, paru en 2011. L'album du film de Louise en hiver est paru en 2016.
Prix
- Meilleur court métrage d'animation, 1978 au Césars du Cinéma Français pour le film : La Traversée de l'Atlantique à la rame
- Palme d'or du Court Métrage, 1978 au Festival International du Film (Cannes) pour le film : La Traversée de l'Atlantique à la rame
- Grand Prix, 1965 au Festival International du Film d'Animation (Annecy) pour le film : La Demoiselle et le violoncelliste