Formation
Issu d'un milieu bourgeois cultivé, Henri-Georges Clouzot s'imprègne dès l'enfance de musique, de littérature classique et de peinture. Inscrit à l'École Navale de Brest pour plaire à sa mère, il est recalé pour cause de myopie et part à Paris en 1925 étudier le droit international. Mais il court les théâtres, se lie avec le dramaturge et parolier de revues à succès René Dorin, qui lui lègue son amour du music-hall et lui enseigne l'art des dialogues. Le jeune Clouzot collabore à des scénarios, tout en rédigeant des chroniques de faits divers pour son ami journaliste Pierre Lazareff. En 1931, il tourne un court métrage, La Terreur des Batignolles. À la même époque, il rejoint la UFA à Berlin. Pour cette puissante société de production, il supervise la version française d'opérettes allemandes et signe, entre autres, les dialogues français des films d'Anatole Litvak ou de Carmine Gallone. Il croise Fritz Lang et découvre l'oeuvre de Murnau et l'attrait du clair-obscur.
Carrière au cinéma
Peintre de la noirceur humaine, virtuose du suspense, Henri-Georges Clouzot est l'auteur d'une oeuvre d'une grande audace formelle.
De retour à Paris en 1934, Henri-Georges Clouzot, atteint de tuberculose, doit passer 4 ans en sanatorium. Durant cette période, vécue comme une longue réclusion, il tient un journal, dévore des livres, écrit plusieurs pièces de théâtre, et forge son tempérament. De retour à Paris en 1938, il rencontre Suzy Delair, dont il sera le pygmalion durant 12 années de bohème amoureuse. Le cinéaste est engagé pendant la Seconde Guerre mondiale par la Continental Films. Inféodée en théorie à la propagande de l'occupant, cette société de production jouit néanmoins d'une certaine liberté. Clouzot tourne en 1942 L'Assassin habite au 21, un très grand succès. Ce film brillant, à la mise en scène dense et concise, aux dialogues finement ciselés, porte déjà la marque de son auteur : un style visuel influencé par le cinéma expressionniste allemand, un suspense savamment orchestré, de nombreuses trouvailles visuelles et une peinture de la société empreinte de noirceur, prise dans le jeu des apparences. La direction d'acteurs, très maîtrisée, réunit dans les rôles principaux Pierre Fresnay et Suzy Delair.
Le Corbeau, tourné en 1943, avec Pierre Fresnay et Ginette Leclerc en têtes d'affiche, dépeint la vie d'une petite ville de province sur laquelle s'abat une série de lettres de dénonciation anonymes et haineuses. Sous le couvert d'une enquête policière, Clouzot se livre à une impitoyable satire sociale, anti-manichéenne, fouillant les tréfonds de l'âme humaine et dénonçant la furie aveugle de la foule. Récusé par le régime de Vichy et par La Continental, qui n'apprécie pas sa violence misanthrope, em>Le Corbeau est paradoxalement accusé de propagande anti-française à la Libération pour son " incitation à la délation ". Le film est interdit de projection en France et Clouzot est l'objet d'une suspension professionnelle de 2 ans. Il revient en 1947 avec Quai des Orfèvres, réunissant Louis Jouvet et son élève, Bernard Blier, ainsi que Suzy Delair dans un rôle sur-mesure de vedette de music-hall. Drame de la jalousie et du désespoir amoureux, le film, remarqué pour sa beauté formelle et l'agilité de sa mise en scène, révèle sans la juger la misère et la grandeur d'une humanité un peu dérisoire. Le film est un succès. Manon (1948) est l'histoire d'un amour impossible adapté d'un classique de la littérature du XVIIIe siècle, que Clouzot transpose dans l'après-guerre pour livrer un portrait pessimiste et sans concession de ses contemporains. Il tourne en 1949 une comédie, Miquette et sa mère, un genre atypique dans sa filmographie. En 1951, avec Le Salaire de la peur, tourné en décors naturels, Clouzot réalise un thriller au suspense soutenu servi par un montage très efficace. Dans cette folle aventure où sont embarqués des êtres perdus, risquant leur vie pour un peu d'argent, certains ont vu la réflexion sociale d'un homme qui se veut témoin de son temps. Dans le film apparaît pour la première fois Véra Clouzot, la femme du réalisateur, aux côtés de Charles Vanel et d'Yves Montand. Autre suspense, machiavélique avec Les Diaboliques (1954), adapté d'un roman de Boileau et Narcejac, qui réunit Paul Meurisse et le duo Simone Signoret-Véra Clouzot. Le film se déroule dans un pensionnat, un de ces lieux clos qu'affectionne Clouzot. Le cinéaste orchestre savamment l'angoisse du spectateur. La tension du film, nourrie de fausses pistes et d'un retournement final imprévisible, est renforcée par une construction dramatique de l'espace et du son.
Henri-Georges Clouzot est aussi un homme qui réfléchit sur l'art. Dans Le Mystère Picasso (1955), il utilise un dispositif de transparence et des encres spéciales pour filmer le peintre au travail, saisir son geste créatif et faire assister le spectateur à l'oeuvre en train de se faire. Changement de ton avec Les Espions (1957), l'aventure cauchemardesque d'un homme entraîné dans le vertige kafkaïen de l'espionnage. En 1960, le cinéaste tourne La Vérité, avec Brigitte Bardot, autopsie d'un procès d'assise, sur un scénario à l'architecture ingénieuse. Mais peu après la sortie du film, Véra Clouzot succombe à une crise cardiaque. Ce décès plonge Clouzot dans une profonde dépression et infléchit fortement son inspiration. Son centre de gravité se déplace vers des thèmes ouvertement érotiques ou métaphysiques, avec une passion pour l'expérimentation qui se décline au cours des années 1960 autour de deux projets ambitieux. L'un restera inachevé, L'Enfer, entrepris en 1964, avec Serge Reggiani et Romy Schneider. Le sujet, d'une profondeur intime chez le cinéaste, en est la jalousie amoureuse pathologique. Clouzot exploite les ressources de l'art cinétique pour mettre en scène les cauchemars qu'elle engendre, dans des séquences d'hallucinations sonores et visuelles très novatrices. Mais les retards s'accumulent. Clouzot, fidèle à sa légende, tyrannise les acteurs et il règne sur le tournage une atmosphère de tension extrême. Le cinéaste est finalement victime d'un infarctus, et le tournage est abandonné. Il en restera 13 h de pellicule impressionnée. Clouzot revient au cinéma en 1967 pour un ultime long métrage, La Prisonnière, avec Elisabeth Wiener et Laurent Terzieff. Au centre du film, une femme qui vit un amour total et découvre ses propres abîmes mentaux. Les obsessions du réalisateur sont toujours présentes, avec la mise en scène de rapports de domination et d'asservissement. Ici encore, il intègre à la trame dramatique l'art cinétique et optique, pour des visions hallucinatoires qui expriment le vertige des sens. Les critiques accueillent le film avec hostilité. Observateur des névroses humaines, son oeuvre a toujours suscité des réactions contradictoires. Par la suite, Clouzot n'arrivera à concrétiser aucun autre projet.
Autres activités
Henri-Georges Clouzot écrit le livret d'une opérette, La belle histoire, représentée en 1934 au Théâtre de la Madeleine, un spectacle de foire, Jeu de massacre, et plusieurs chansons mises en musique par Maurice Yvain.
Sa retraite forcée dans un sanatorium lui laisse le temps d'écrire plusieurs pièces de théâtre, dont Le mur de l'ouest, La rescousse et On prend les mêmes qui fut un des succès de 1940 au théâtre du Grand-Guignol. Mise en scène par Pierre Fresnay, cette pièce révèle au public un nouvel acteur, Daniel Gélin.
Dans les années 1960, il réalise une série de cinq films pour la télévision française avec le chef d'orchestre Herbert von Karajan, dont le Requiem de Giuseppe Verdi, la Symphonie du nouveau monde d'Antonin Dvorak, la Cinquième symphonie de Ludwig van Beethoven.
Prix
- Meilleur scénario, 1956 au Festival Internacional de Cine (San Sebastián)
- Meilleur réalisateur, 1947 au Mostra Internazionale d'Arte Cinematografica (Venezia) pour le film : Quai des Orfèvres